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Paris-Kyoto
31 décembre 2014

Joyeuse solitude et autres petites absurdités

décembre

 

« Personne ne semble avoir songé au fait que si l’existence est absurde, y réussir brillamment n’a pas plus de valeur que d’y échouer. C’est seulement plus confortable. »

Dans L’élégance du hérisson de Muriel Barbery

Un rédacteur en chef d’un magazine traitant principalement de golf, d’hôtels étoilés et d’horlogerie de luxe m’a donné ses consignes sans mâcher ses mots: « Préparez-moi un sujet sur l’Andalousie. Une dizaine de photos. Je veux des villages tout blanc, du soleil, des beaux restaurants et une sensation d’exclusivité. Et le texte, on fait court. Inutile de vous lancer dans de la belle prose, personne ne va vous lire de toute façon. Envoyez moi votre reportage après les Fêtes d’acc? »

Après avoir fait la bise au patron, c’est dans notre bar de quartier, que j’ai raconté l’anecdote à ML tout en buvant du vin blanc et en grignotant une planche généreuse de charcuterie.

Dans cette joyeuse lancée c'est au pas de course que j’ai visité le Louvre avec le président d’un laboratoire japonais. Le rythme soutenu pour aller de la Mona Lisa à la Vénus de Milo en passant par la Victoire de Samothrace avait, comme seul aspect original, celui de faire penser à une scène de « Bande à part » de Godard. Trois coups d’oeil plus tard sur ces oeuvres heureusement répertoriées dans une liste établie par un guide, l’ingénieur qui nous accompagnait m’a discrètement informée: « A présent, notre président souhaite aller déjeuner ». (sous-entendu: « j’espère bien que vous avez pensé à réserver une table dans un endroit convenable et à proximité. »)

Sur le chemin qui nous menait au restaurant, où bien sûr j’avais pris soin d'y passer un coup de fil le matin même, je ne pu m’empêcher de songer aux souvenirs que ces Japonais allaient bien pouvoir garder de leur séjour, une fois leur zone de confort et leur travail de décontamination d’eau irradiée retrouvés.

Après la tornade des journées où je parle à double, des échanges soutenus à propos de l’avancée scientifique des dosimètres cristallin et de l’euphorie d’avoir réussi à dépasser mes limites, j’ai pris goût à laisser s’écouler des après-midi, déjeuné en solitaire dans les restaurants que j’aime, su refuser certaines soirées, mis mon portable en mode avion pour m’échapper un peu à cette connectivité permanente, réalisé avec beaucoup de bonheur que des pensées bien précises m’envahissaient moins, pris des cafés en terrasse, arrêté de m’entêter à accorder trop d’importance aux jugements parfois hâtifs, pris des trains pour aller loin et trouvé cruellement limpide la citation de Bukowski: « L’amour est une brume qui s’évapore à la première lueur de réalité ». J’ai également laissé les fantômes du passé sur le pas de la porte, ressenti cette onde de febrilité au moment de lui dire « moi aussi », ri lorsqu’A. m’a soutenu qu’il n’y avait rien de plus rédhibitoire qu’un garçon qui ne savait pas ouvrir des huîtres, admiré N. me décrire son exposition de photos mise sur pied en Inde, pris plaisir à partager avec JJ son expérience au Kyubei à Ginza et pris très au sérieux les prédictions pour 2015 de Rob Brezsny.

Il y a eu aussi les premiers rendez-vous, là où tout est encore si fragile mais que j’aime par dessus tout. Au moment de mettre l’agneau au four sur un lit de légumes rôtis, il a ouvert une bouteille de Bourgogne et m’a parlé de la notion de longueur en bouche d’un vin. Puis, ont suivi les confidences, que l’on dépose devant soi avec une précaution infinie, et qui restent ancrés dans la mémoire bien plus longtemps que 12 caudalies.

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