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Paris-Kyoto
8 septembre 2015

La longue route de sable

La longue route de sable

« Je t’ai aimé parce que tu es le seul homme que je connaisse qui ose porter sur lui tous ses âges. Du tout petit enfant à l’homme de cinquante ans qui garde en lui la beauté de son adolescence et ses contradictions, ses faiblesses, son rire, sa poésie, ses rêves. Voilà. » 

                                                                                                                                                                   Véronique Olmi

 

                                                                                                                                        Au bord de cette plage, été 2015 

Un après-midi, je lui ai raconté, tout en sirotant une bière, qu’à l’âge où mes petits camarades dressaient des listes longues comme le bras au père Noël, mon frère et moi n’avions jamais été bercé par ce mensonge d’adulte. « Et le développement de la notion de rêve alors? » s’enquit-il, le regard presque inquiet. 

A vrai dire… Je réalisais à quel point j’avais autorisé mes rêves à guider ma route en lui donnant un cap. 

(…) 

Dorénavant, à l’heure où la chaleur n’a pas encore surchauffé le bitume, la patronne du café en bas de chez moi s’enquiert, avant de prendre ma commande, si je vais bien, si je pars en vacances ou si je souhaite du sucre. Ce genre d’attention me donne la douce impression d’avoir, somme toute, réussi à déposer une ancre dans le quartier.  

Durant ces derniers mois, je me suis levée à des heures où seuls les bébés et les serveuses du Starbucks sont réveillés, pris des trains pour aller traduire « injection à l’acide hyarulonique » ou    « azote liquide » dans une clinique réputée pour savoir faire disparaître le passage du temps sur les visages que l’on retrouve figés sur le papier glacé des magazines à gros tirages, griffonné des anecdotes sur des feuilles volantes avant que ma mémoire ne me joue des tours, bu un nombre indécent de coupes de champagne avec une journaliste hollandaise au sud de l’Autriche près de la frontière slovène, pris un speed boat pour aller dîner dans un château tout droit sorti d’un conte et suivi un championnat européen de beach volley assise sur une estrade réservée. 

Sur ma nouvelle table de travail s’entassent publications diverses, numéros de téléphone importants, ébauches d’articles dont le contenu varie entre la vulnérabilité des castors en bas âge et le lancement d’une montre connectée d’un groupe horloger helvétique en passant par l’agriculture biodynamique et les golfs tokyoïtes. 

Un jour où j’expliquais mon désarroi face à une situation désagréable, il me dit pour me consoler: « Tu sais, pour éviter les gens que l’on n’aime pas sur les quais de train, il suffit d’avoir l’air absorbé dans la lecture d’un Picsou magazine. Il faut d’ailleurs toujours en avoir un dans son sac. »

Un samedi en fin de matinée, elle m’annonçait son mariage par téléphone. Entre deux rires un peu nerveux, elle me révélait également la mauvaise réaction de sa tante, non-conviée aux festivités. Après avoir raccroché, je me suis rappelée avec nostalgie nos dix ans d’amitié: les séjours prolongés à mon domicile parisien où, avec elle, j’avais partagé une partie de mon quotidien. Nous comblions les interstices de ces moments par des appels et des mails dans lesquels nous nous racontions avec une honnêteté précieuse, nos histoires sentimentales, nos attentes, nos envies, nos idéaux et le développement de nos chemins professionnels respectifs. A bien y réfléchir, tout cela faisait partie de l’évolution de notre construction d’adulte. A ces souvenirs que j’égrenais telles des billes d’un chapelet, mon coeur s’est soudain serré: à aucun moment de son récit, il n’avait été question de faire partie de sa courte liste d’invités célébrant cette union, qui, pour moi, concrétisait aussi cet ensemble. Je restais perplexe quant à la maladresse de cet appel. 

« Il est temps de laisser derrière toi tes chères vieilleries, Vierge, de t’éloigner à pas de loup de la tradition, de faire tes adieux aux fantômes du passé, de t’arracher à la nostalgie du bon vieux temps. Une table rase s’impose, car de nombreux rendez-vous avec l’avenir t’attendent, et il serait dommage de les rater en t’obstinant à ressasser des souvenirs. » présageait-il jeudi dernier. 

Notre orgueil ne nous encourage jamais à croire aux horoscopes mais il faut avouer qu’ils ont parfois quelque chose d’assez déroutant. 

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