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Paris-Kyoto
13 juillet 2010

Aubergine

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Dans un dernier élan de survie, il a compris la nécessité de quitter Paris mais ignorait pour combien de temps. C’est ce qu’il a annoncé à ses associés après la première réunion du matin. On lui a demandé s’il plaisantait. En guise de réponse, il a éteint son ordinateur, saisi sa veste, ignoré les commentaires, et est rentré chez lui pour chercher son passeport avant de partir à l’aéroport. Il a pris le premier vol long-courrier annoncé sur le panneau d’affichage.

 

Tout ce que Pierre-Henri entreprend, il le réussit. Non sans efforts, certes. Pourtant il est vrai que la vie semble lui sourire plus qu’à d’autres. On dit de lui qu’il est né sous une bonne étoile, lui, n’est pas du genre à y croire. Les diplômes des meilleures institutions scolaires lui ont permis d’obtenir les postes les plus convoités, ceux-là même qui promettent de belles carrières. Bien entouré, il est rare de trouver une famille plus aimante que la sienne et, même côté cœur, il est tout aussi gâté. La preuve : aucune femme ne lui résiste. Il sait qu’il lui suffit de déployer son numéro de charmeur, dont lui seul a le secret, pour qu’elles se retrouvent dans son lit avec une facilité qui le déconcerte parfois lui-même.

 

Pourtant, aujourd’hui, il est las. Las de cette vie sans surprises, ni émotions, ni envies. Il ressent le besoin simple de se sentir vivant, chose qui ne lui est pas arrivée depuis longtemps. 

 

Après plus de douze heures de vol, le voilà à l’autre bout du monde. Il a hélé un taxi en sortant de l’aéroport international d’Osaka, où la moiteur de l'air lui a fait prendre conscience qu'il avait bien quitté l'Europe. Arrivé à sa hauteur, la porte du véhicule s’est ouverte automatiquement. Pierre-Henri s’est glissé à l’intérieur, sans un mot, et a tendu un petit morceau de papier sur lequel le nom d’un hôtel avait été griffonné. C’est l’une des hôtesses de l’air qui le lui avait conseillé au cours du vol. Bien entendu, son numéro de portable est noté plus bas. Le chauffeur porte de petits gants blancs immaculés, et, le temps d’une seconde, a semblé étonné que son client n’ait pas de valise. Sans commentaire, il a fait démarrer la voiture climatisée en direction de l’autoroute.

 

Pierre-Henri est parti sans rien, tout ce dont il aura besoin, il se le procurera sur place, y compris, la valise.

 

Il est minuit passé et le décalage horaire l’empêche de trouver le sommeil mais il n’y prête pas attention. Aucune obligation ne l'attend demain. Il peut même dormir toute la journée ou toute la semaine si ça le chante. Il verra bien. Pour l'instant, depuis la grande baie vitrée de sa chambre d’hôtel, en plein cœur de Kyoto, il observe, en buvant un verre de whisky, les scintillements de la ville qui s’étendent le long de la rivière Kamo. L’hôtesse de l’air, dont il ne se rappelle déjà plus le nom, avait raison, la ville est magnifique.

 

 

 


Pendant les quatres semaines qui ont suivi, il a pris d’autres habitudes et a modifié ses repères. Il était déjà plusieurs fois venu sur l’archipel pour affaires mais jamais dans ces conditions. Lors de ses déplacements professionnels, chaque minute est comptée et, de ce fait, il n’avait jamais ressenti cette liberté dont il avait pu profiter durant le mois écoulé.

 

Pour son dernier soir, il a décidé de dîner dans un restaurant qu’il souhaite le plus simple possible. En sortant de son hôtel, il a suivi une grande artère bruyante, de par son flux de voitures continu. Puis, il s’est dirigé vers une plus petite rue jusqu’à déboucher sur une étroite ruelle un peu sombre où le silence l’a rassuré. Une petite lanterne rouge allumée à son bout a attiré son attention. Il a marché plus vite dans cette direction. Le voilà en face d'une petite gargote et il voit, à travers la vitre, quelques personnes attablées au comptoir. Il ne saurait dire pourquoi mais lui aussi a envie d'y être attablé parmi eux. La bonne odeur de cuisine lui donne soudain faim. En faisant coulisser la porte, il entend la voix d’une vieille femme, habillée en kimono, protégé d’un joli tablier à motifs de fleurs mauves, qui lui souhaite la bienvenue.

 

Elle l’a fait asseoir au comptoir et lui a apporté un bol rempli de fève de soja vert, les edamame. Il a commandé une petite bière, il en a reçu une d'un demi-litre. Pierre-Henri observe attentivement la patronne se mettre au travail avec des gestes lents et précis. Il la voit composer tout un assortiment de différents petits plats qui ont l’air plus appétissants les uns que les autres. Elle n’a pas pris sa commande, il sait pourtant que c’est pour lui. Il remarque à l’autre bout du comptoir, un homme en chemise blanche un peu ivre et à la cravate desserrée, qui semble se régaler tout en picorant à l’aide de ses baguettes les différents plats qui composent son repas.

 

Pierre-Henri a commandé une deuxième bière alors que la tête lui tourne déjà un peu. Personne ne lui prête particulièrement attention et cela lui donne l’impression d’être un habitué des lieux au point d’écouter presque avec plaisir la musique populaire en fond sonore. La patronne s’est approchée et a déposé son plateau sans faire de bruit. Tout en sentant le regard discret de la vieille femme sur lui, il a saisi ses baguettes mais hésite. L’assortiment qu’il a sous les yeux est magnifique et tout lui donne envie. Le choix qu’il a à faire lui semble capital : par quelle coupelle va-t-il commencer son repas ? Trois lamelles de poisson cru accompagnées de fines lanières de radis blanc, surmontées d’une fleur de pissenlit, sont posées sur une petite assiette en céramique en forme de goutte d’eau. Le potage clair, dans lequel il aperçoit un nuage d’œuf battu et quelques feuilles de mitsuba est, quant à lui, posé à côté d’un bol de riz blanc fumant. L’assortiment de tempura de crevette, de tranches de patate douce et de racine de lotus le fait saliver. Il sait qu’il devra les tremper dans le petit récipient au contenu foncé, qui se trouve à côté, après y avoir ajouté le radis blanc et le gingembre râpé.

Et il y a ce plat. Celui qui semble le plus simple de tous mais qu’il a déjà remarqué tout à l’heure : une friture de petites tranches d’aubergine servie avec une sauce à base de vinaigre, qui lui pique un peu le nez lorsqu’il s’en approche. Son choix est fait. C’est par ce plat qu’il va commencer son dîner.

C’est avec un bonheur absolu qu’il a savouré chaque mets. La vieille femme lui a sourit lorsque leurs regards se sont croisés.

 

Le lendemain, dans l'avion du retour, il n'arrive à penser à rien d'autre qu'à cette dernière soirée dans ce petit restaurant qu'il ne retrouvera sans doute jamais. Cependant, il ne sait par quel miracle, il a gardé dans sa bouche, la saveur de ce plat à base d'aubergine qu'il a pris un plaisir sans limite à déguster au point d'en demander encore une assiette. Il sait à présent ce dont il parlera en premier quand on lui demandera de conter son voyage. 

 

Aubergine frit au vinaigre

Ingrédients:

- 5 mini aubergines (sinon une aubergine fera très bien l'affaire) en tranches fines et tailladées.

- 10 cm de poireau haché

- 1 petit morceau de gingembre haché  

Pour la sauce: 

- 3 CS de vinaigre de riz

- 3 CS de sauce soja

- 3CS de saké

- 1 CC de sucre

- 1 piment rouge finement coupé

Préparation: 

Mélanger les ingrédients de la sauce ensemble puis y ajouter le poireau haché et le vinaigre. 

Faites chauffer l'huile à 170°C-180°C et faites frire les tranches d'aubergine jusqu'à ce qu'elles prennent une jolie couleur caramel. Egoutter-les sur du papier absorbant et verser la sauce, préparée au préalable, par dessus avant de déguster avec un bol de riz blanc japonais*.

*Un autre type de riz risquerait de ne pas apporter authenticité à ce plat.

 

 

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Commentaires
P
Ca me rappelle la délicieuse ambiance du Gourmet solitaire de Taniguchi !
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M
Merci pour ce commentaire!!! Oh... tu as déjà craqué pour le restaurant rue du 29 juillet...! Quand tu veux pour que nous y allions la semaine prochaine!
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D
Ce texte est très beau.<br /> Je dois t'avouer que je suis allée, sans t'attendre, dans le petit restaurant dont tu m'avais parlé en face de chez colette. C'était délicieux, du sakedon aux morceaux bien charnus... Depuis y retourner! fixe ta date!
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