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Paris-Kyoto
18 juillet 2014

Partir pour mieux revenir

ITALY

  

New York est l’endroit où les gens viennent pour inventer, réinventer et découvrir l’espace dont ils ont besoin pour devenir ce qu’ils veulent être. C’est un endroit où les fictions circulent libres et nombreuses, où il est permis d’entretenir pour soi-même certaines prétentions, où l’on est autorisé, voire encouragé, à cultiver son personnage ou l’idée qu’on se fait de l’existence. Tel est l’avantage de la liberté et de l’indifférence urbaines. La médaille a son revers, bien sûr. Un été, je me suis trouvée seule à New York. Tous mes amis avaient fui la chaleur de la ville, et je me rappelle m’être dit: « Si je mourais maintenant dans mon appartement, combien de temps se passerait-il avant que quelqu’un s’en aperçoive? » 

Dans Plaidoyer pour Eros de Siri Hustvedt, Editions Actes Sud.


Quand je suis arrivée, elle venait tout juste d’engloutir avec gourmandise sa dernière bouchée d’un plat généreux de pâtes mais en voyant ma tête décomposée des petits jours, elle se leva d’un bond et tout en enfilant ses baskets, sans me donner la moindre possibilité de refuser, elle me proposa d’aller courir. « Ca va te faire du bien. C’est le remède miracle quand on est en colère. Par contre c’est plus dur lorsque l’on est triste.» 

Elle avait raison. 

Quelques jours auparavant, mon frère avait un rendez-vous particulier avec l’une de nos tantes que, ni lui, ni moi, n’avions revue depuis quatorze ans après une rupture de contact dénuée d’explications et étouffée par les convenances. La distance géographique, qui nous séparait alors, était devenue l’excuse idéale pour approfondir d’avantage encore les non-dits. Si dans une mélodie, il est important de savoir jouer les silences, dans notre famille, il nous avait toujours manqué cette fameuse mélodie. Ce matin-là, il m’a expliqué avoir choisi une chemise blanche amidonnée sans fioritures et noué, devant le miroir, une cravate noire. Au Japon, c’est ainsi que les hommes se vêtissent pour aller aux obsèques. 

Un soir où les éléments avaient décidé de se déchaîner violemment, là où pluie, vent et grêle s’étaient alliés avec entrain, O., si inquiète de ne pouvoir me joindre après un rendez-vous qu’elle savait déterminant pour la suite de mon parcours professionnel, avait passé sa fin de journée à ratisser minutieusement la ville, de la rédaction du journal à mon domicile, hélas sans succès. Bien plus tard, trempée jusqu’aux os, le mascara coulant, les émotions à fleur de peau et très en retard pour une soirée où je me devais de ne laisser rien paraître, je prenais connaissance de la démarche de mon amie. Bouleversée, je mesurais alors ma chance d’être si bien entourée et la notion d’ « amitié ressourçant » dont me parlait E., lors d’un déjeuner dans ce petit jardin à deux pas de son lieu de travail, me revint en mémoire. 

Affaiblie par une suite d’impondérables conséquents face auxquels je me sentais relativement démunie, je décidais de frapper, sans trop vouloir déranger, mon poing serré sur une table imaginaire. Un matin, je pris donc un train, puis un second et finalement un troisième. Je dormis presque tout le trajet d’un sommeil lourd pendant que le paysage se modifiait doucement. 

A vrai dire, j’ignorais ce que je venais chercher dans cette simple fuite en solitaire avec comme seul compagnon Le musée de l’innocence d’Orhan Pamuk, mais arrivée à destination, j’y ai trouvé la moiteur de l’été, la sonorité d’une langue qui n’est pas mienne mais qui offre de la légèreté aux choses, des émotions diverses à chaque coin de rue, le goût d’un osso bucco accompagné de Chianti, les silences et l’odeur de l’encens dans une église, le son des cigales sur le chemin allant en direction de l’Abbazia di San Miniato al Monte et  le brouhaha de la Piazza de la Republica. 

Petit-à-petit, le bon sens semblait reprendre ses droits.
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